ConcertsLe Jazzophone

L’interview : Michel Portal

Michel Portal est depuis plusieurs décennies le porte drapeau du free jazz en Europe, discret le clarinettiste français est un multi instrumentiste, de la musique classique avec sa première formation musicale au jazz, il n’a jamais voulu aller dans la facilité. Son image de compositeur intello le poursuit depuis près d’un demi siècle, il s’est confié pour Le Jazzophone lors d’un concert à Nice en duo avec son compagnon de route Bernard Lubat.

Il nous a parlé de son travail et de ses coups de coeur culturels. Un septuagénaire, bon pied, bon oeil selon la formule consacrée, qui tient à bout de bras ce free jazz depuis 1971, date où il créa le Michel Portal Unit, une bannière de reconnaissance musicale pour tous les jazzmen épris d’un jazz où l’improvisation est le fondement de leur passion. Pour Michel Portal, capable de jouer des répertoires aussi divers que Mozart, Schumann, Boulez, Solal et de composer des musiques de film, cela a toujours été un atout maître, alors avec cette carrière exceptionnelle que lui reste-il à faire ?

Très sincèrement, il y a eu des gens qui n’ont pas eu assez de temps pour écrire ce qu’ils avaient à écrire, moi je pense que j’ai du temps mais je pense que je suis en perpétuelle quête de quelque chose parce que, en fait ce qui me plaisait hier après-midi ne me plait plus aujourd’hui, c’est-à-dire que je me sens plutôt improvisateur qu’un type qui met sur le papier… je me dis, ne t’inquiète pas, tu n’es pas fait pour calquer la chose, là au millimètre, tu étais fait pour jeter tes morceaux de papier dans la corbeille, que tu essayes au piano ou je ne sais quoi, il en reste toujours de petites choses et je suis fait plutôt pour la scène, pour jeter une musique… je me sens plutôt comme ça… pour moi, l’improvisation doit être quelque chose de spontané, on doit arriver sur une scène, et ne pas savoir ce qu’on va faire une seconde avant… maintenant, on peut préparer des improvisations mais il y a de la tricherie et puis, il y a les effets de mode… Je veux dire une chose sur Bernard Lubat qui est à côté de moi. C’est la même culture que moi, on a fait le Conservatoire… la musique contemporaine, à un moment donné, j’étais un peu là-dedans, lui il a toujours vécu avec elle, il amène toujours des éléments qui ont existé, où dans la musique contemporaine faite par les compositeurs d’hier ou d’aujourd’hui et moi parfois, j’ai un peu laissé ça, je ne sais pas pourquoi le fait d’interpréter des musiques encore classiques me fout dans un drôle de truc à moi, je suis un peu le derrière entre deux chaises souvent et c’est vrai que j’aurais envie de tout refaire comme on faisait avant, c’est-à-dire jouer dans des seaux d’eau avec quatre clarinettes dans la bouche.

Sur scène vous improvisez et chez vous, que faites vous ?

Chez moi, je cherche des langages, je cherche des phrases que je pourrais utiliser mais qui me sont propres, c’est-à-dire que je n’ai pas une méthode pour çà, je me mets avec la clarinette basse, je fais çà quotidiennement et je cherche une chose… j’ai l’impression de n’avoir rien trouvé, vous savez aujourd’hui, ce sont des époques où les gens disent toujours, je suis le meilleur, je suis le plus grand, moi je pense que je n’ai pas une prétention comme ça. Je veux apprendre jusqu’à la fin, j’ai joué devant quelqu’un qui était poète il n’y a pas longtemps, il a dit une chose c’est curieux… je disais un poème pendant 20 minutes et toi, tu as joué trois notes et j’ai l’impression que tu as parlé pendant trois notes, il faut reconnaître que la musique c’est un miracle aussi par rapport à la parole.

En dehors de la musique, que lisez vous, allez vous au théâtre, à des expos ?

Je suis un peu sauvage, j’ai une difficulté à me montrer en public, je décline beaucoup d’invitations. Par contre je lis beaucoup. Dans mes valises, j’ai le bouquin d’un ami qui vient de disparaître Abdelwahab Meddeb, un grand philosophe tunisien. J’ai aussi quelque chose sur les Soufis, c’est une histoire très engagée qui s’est passée au cours du Printemps Arabe. Côté peinture, je suis ami avec Georges Autard ; j’ai rencontré aussi la famille Masson, on a parlé une fois 4h autour d’un champ de blé… Tout ça, ça s’entretient mais je ne sais pas d’où cela tient, j’entretiens très peu les amitiés… J’ai eu plutôt des histoires professionnelles, cinéma ou théâtre c’était seulement pour la musique, j’écris dans l’isolement… les gens se disent celui là, il nous emmerde, on se fait toujours des idées des autres, il y a toujours dans ce silence que je peux vivre quelqu’un qui m’appelle, qui me dit… tu sais, t’inquiète pas, on t’aime bien conard… Moi, j’ai l’impression qu’il va me dire… je t’emmerde… Michel Portal, l’un de nos plus talentueux virtuoses que ce soit en musique classique ou en jazz, reste le plus secret des artistes compositeurs de ces dernières décennies. Un homme qui n’a jamais été chercher ses récompenses même pas les Césars, il vit avec une précieuse conviction… sa vie.

Propos recueillis par J.P Lux dans le cadre du New Jazz Festival 2014 lors du concert de Michel Portal & Michel Portal, le vendredi 14 novembre 2014 au Forum Nice Nord

Photos du concert réalisées par Jean-Louis Neveu, & Franck Z@uis Bigoin

Michel Portal & Bernard Lubat

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